(Docteur Irene STUR)
Les chiens de race dans une impasse, ou : à quoi les éleveurs et responsables d’élevages doivent réfléchir.
Si l’on retire le « mais » et le point d’interrogation du titre : DE BEAUX CHIENS, MAIS EN FORME ET EN BONNE SANTE ? la phrase qui subsiste ferait parfaitement l’affaire comme slogan publicitaire
d’un élevage. Elle donnerait à l’acheteur potentiel d’un chien de race une image susceptible d’emporter sa décision. Malheureusement le « mais » et le point d’interrogation sont parfaitement
légitimes. Dans l’état actuel de l’élevage des chiens de race, aucun acheteur ne peut en effet obtenir la garantie que son animal sera effectivement sain et fort.
Pour l’essentiel, trois types de problèmes s’opposent à l’idéal de beauté, de santé et de forme physique que se forgent légitimement éleveurs et amateurs de chiens de race.
1- Des standards de race, et leur interprétation, poussés à l’extrême. Il en résulte que des chiens conformes en tout point à leur standard présentent des troubles de santé plus ou moins accentués et qui compromettent leur bien-être.
2- La diffusion plus ou moins vaste de défauts héréditaires et de prédispositions génétiques à des maladies touchant certaines races de chiens.
3- Un niveau de consanguinité excessif dans la population des élevages canins, avant tout en raison d’un trop faible nombre de reproducteurs dans certaines races.
Abstraction faite des standards extrêmes (ce problème devrait être réglé en premier lieu entre éleveurs et amateurs par le biais de discussions critiques sur les limites du raisonnable à ne pas
franchir, notamment sur les exigences esthétiques), les deux autres problèmes ont en commun des causes et des solutions que l’on peut rarement dissocier.
Un nombre trop restreint de reproducteurs provoque obligatoirement une élévation du taux de consanguinité. Il s’en suit fatalement l’apparition d’une population homozygote dont découle d’une part
une baisse de la condition physique des animaux et d’autre part un accroissement de leurs défauts génétiques. Des mesures de sélection deviennent alors au moins recommandables, sinon
indispensables, pour réduire ces risques mais, réduisant encore le nombre des reproducteurs, elles provoquent une nouvelle augmentation de la consanguinité. Si, par contre, le vice héréditaire
n’est pas éliminé en raison d’absence ou d’insuffisance de sélection, la diffusion des gênes défectueux se poursuit.
L’élevage des chiens de race finit ainsi dans un cercle vicieux qui aboutit soit à la dégénérescence de la race considérée, soit à son extinction. Pour sortir de cette impasse, éleveurs et responsables d’élevages doivent remettre leurs pratiques en question sur plusieurs points. Cet exposé ne va pas vous fournir de formule passe-partout. Il vise au contraire à montrer les plus importantes des erreurs qui ont mené à cette impasse pour provoquer des solutions qui permettront, le cas échéant, d’en sortir.
Erreur n°1 :
Les schismes dans les clubs de race, en raison des mauvaises relations ou d’incompréhension entre membres.
Dans ce contexte, des cheptels d’élevages déjà restreints se trouvent divisés en deux (ou davantage) sous-populations. La solution est théoriquement simple : amener les éleveurs à tirer à la même
corde dans l’intérêt de la race de chien concernée.
Erreur n°2 :
L’élevage séparé de races aux phénotypes semblables, de même que l’élevage séparé de différentes variantes ou de différentes souches d’une même
race.
De son point de vue et avec toute sa compréhension pour les passionnés d’une race donnée, le généticien ne peut que recommander de rassembler en une seule population des races qui ne se
distinguent l’une de l’autre que par d’insignifiants critères d’aspect. Ainsi de nombreux petits élevages à faible effectif, tôt ou tard condamnés à
l’extinction, peuvent reconstituer ensemble une population suffisamment nombreuse pour revenir à un travail d’élevage sensé. Cette recommandation concerne par analogie les élevages spécialisés de
chiens de couleurs différentes tel qu’il en existe dans plusieurs races.
Plus généralement, il faut arriver à établir les critères limitatifs des races avec suffisamment de largeur d’esprit en vue d’obtenir une plus grande variance génétique.
Erreur n° 3 : l’élevage de mâles champions.
Mathématiquement la population effective et, par conséquent, le taux de consanguinité par génération se calcule en fonction du nombre de reproducteurs mâles et femelles utilisés. Ainsi augmenter le nombre de femelles saillies par seulement quelques champions mène à réduire la population effective de l’élevage et accroît fortement son taux de consanguinité.
L’intensification de la sélection obtenue en limitant le nombre de mâles d’élite admis à la reproduction se paie par l’augmentation du niveau de consanguinité par génération. Cette augmentation exagérée constitue dans tous les cas le pendant prévisible à l’utilisation déterministe de certains étalons. Lorsque, comme cela se pratique fréquemment, des mâles particulièrement beaux sont utilisés plus souvent que les autres, il suffit qu’augmente la part de la population engendrée par ces quelques géniteurs pour que la consanguinité progresse dans la même mesure.
Erreur n°4 : la sélection sur la base d’exigences minimales.
En général, les chiens d’élevage sont sélectionnés de telle manière que les sujets affectés d’un défaut défini comme excluant soient éliminés sans égard à leurs qualités propres. Ces « défauts excluants » ne portent le plus souvent que sur des critères esthétiques tels que, par exemple, la couleur (taches blanches…) ou la texture du poil, ou sur des points ne relevant pas ou peu de la santé de l’animal (queue mal formée ou prémolaires manquantes).
Dans ces conditions, la population de l’élevage va forcément perdre une série de gènes positifs. Des chiens sont éliminés sur des critères avant tout esthétiques alors qu’ils sont par ailleurs exempts de tares génétiques telle que, par exemple, la dysplasie de la hanche. Pourtant ces sujets sont par essence en bonne condition physique et présentent des caractéristiques positives qu’il serait important de valoriser.
Pour les races qui sont particulièrement sujettes à la dysplasie de la hanche, il est injustifiable au plan génétique d’éliminer un individu exempt de cette tare simplement parce qu’il présente une tache blanche « interdite ».
La problématique de l’élevage appliquant des standards de race extrémistes doit donc également être abordée sous cet angle là. Non seulement parce que ces races sont, dans la plupart des cas, porteuses de problèmes de santé, mais surtout, parce qu’une sélection intensive basée sur des exigences de type ou de beauté conduit inévitablement à l’appauvrissement de la variance génétique de sa population, avec toutes les conséquences négatives que cela implique. Erreur n°5 :
Accouplements élitistes.
Le choix des mâles et des femelles à accoupler se fait couramment dans l’idée qu’un beau chien plus une belle chienne font de beaux chiots. Les meilleurs étalons, étant systématiquement réservés
aux meilleures chiennes, il ne reste plus alors que de « mauvaises » chiennes à accoupler à de « mauvais » mâles. Par conséquent les mâles d’élite sont de facto utilisés au-delà des limites du
raisonnable, ce qui mène une fois de plus à réduire la population de l’élevage.
Extraits de l’exposé présenté à la rencontre VDH des éleveurs, contrôleurs d’élevage et responsables de registres d’élevage le 29/10/1994 par Docteur Irène STUR
Traduction : J.Bettex