Article extrait de Presse de Deers n°36/37 - 2015
Publication du Chambers Journal, 19 août 1905 relatée par Christopher North - soumis par Miss J P Wilson
Récemment en fouillant dans de vieux papiers, je suis tombée sur une lettre datée de 1844 ;
je vous en propose de larges extraits qui ne manquent pas d’intérêt.
« Le vendredi 8 août à trois heures de l’après-midi, je quittais Edimbourg pour me rendre à Greenock par le train en compagnie de Messieurs Archibald McNeill, Ludovic Colquhoun, d'un domestique
et dehuit deerhounds. Le Lord Advocate McNeill (Lord Colonsay), retenu par une cause importante, ne put pas prendre le départ avec nous mais accepta de nous rejoindre à Greenock par le train
spécial de nuit.
À cinq heures, nous étions arrivés à Glasgow. A notre grande consternation, il nous manquait deux deerhounds. Il s’agissait de deux frères de vingt-trois mois sur lesquels on fondait de grands
espoirs. Pour l’un d’entre eux, le Lord Avocat avait même refusé une énorme somme de quatre-vingts guinées quelques jours auparavant. Les employés du chemin de fer maintenaient que six chiens
seulement étaient montés dans le train ; or nous avions bel et bien payé pour huit et les avons vus être enfermés dans un endroit qui semblait garantir leur sécurité. Il était donc évident que
les deux chiens, soit avaient sauté, soit avaient été volés.
Après concertation, il fut décidé que M. Colquhoun et moi resterions à Glasgow avec les six chiens et que M. Archibald McNeill retournerait à Edimbourg par le train de six heures pour essayer de
retrouver les deux autres.
À huit heures du soir, les deux chiens étaient arrivés à Glasgow par le train d’Edimbourg. Ils avaient tous les deux sauté du train, l’un près du village de Costorphine, l’autre près de Gogar.
Ils étaient tombés entre de bonnes mains qui nous les ont empaquetés et renvoyés par le premier train, de sorte que M. Archibald McNeill et eux se sont croisés sur la route.
En arrivant à Edimbourg, M. Archibald McNeill apprit que les deux chiens avaient été retrouvés ; son frère et lui nous ont rejoints à Glasgow un peu après minuit où nous avons dîné, soupé ou pris
notre petit-déjeuner, appelez ça comme vous voudrez, puis chacun s’est retiré pour prendre quelques heures de repos.
À cinq heures du matin nous embarquâmes sur un vapeur à destination de Lochgilphead ; nous y louâmes une voiture et une carriole pour nous conduire pendant une vingtaine de kilomètres jusqu’à
cette partie continentale de l’Argyllshire située juste en face de l’île de Jura. Là, un bateau des McNeill nous attendait et vers huit heures du soir nous étions confortablement attablés à Jura
pour le dîner.
Nous avons mis vingt-neuf heures pour arriver à Jura depuis Edimbourg, presque la moitié du temps s’étant écoulé à Glasgow. Mon premier voyage vers les îles Hébrides m’avait pris presque dix
jours, c’était en 1811.
Nous avons occupé le dimanche à lire dans la maison, l’église se trouvant aussi éloignée de nous que Penny Bridge, mais le lundi s’est passé à entraîner les chiens, à les encourager à plonger
dans l’eau et à se chasser l’un l’autre. Ils étaient tous très en forme.
Et maintenant, permettez-moi d’écrire pour la postérité le nom de ces fameux chiens qui nous accompagnaient : Torm, Ossian, Oran, Runa (qui étaient frères et sœur), ils avaient vingt-trois mois ;
Borb, quatre ans ; le Vieux Busker, six ans ; Bran, deux ans ; le Jeune Busker, seize mois ; Garig et Farig, les deux frères, quinze mois.
Les derniers venaient de Colonsay, on nous les avait envoyés. Runa, était considérée comme ayant une grande valeur car elle était la seule femelle de sa race, exception faite de ses deux chiots.
Par conséquent, nous avons préféré ne pas la mettre en danger en l’amenant sur le terrain et optâmes de lâcher sur le cerf un chien adulte et deux jeunes ; en même temps nous gardions en réserve
un autre vieux chien et deux jeunes au cas où le besoin s’en serait fait sentir.
Mardi, par temps humide et brumeux, le Lord Advocate, son frère et moi sommes sortis. Vers midi la pluie avait cessé, les nappes de brume s’étaient déplacées vers les sommets des montagnes. En
scrutant l’horizon avec de longues-vues, nous aperçûmes un cerf à plus d’un kilomètre.
Je l’ai tout de suite reconnu, comme si c’était un vieil ami et en tant que tel, j’ai le devoir de dire quelques mots à son sujet, mais pour cela il me faut revenir un peu en arrière dans le temps.
Au mois d’août de 1842, ce cerf avait été poursuivi par deux tout bons chiens de trois et quatre ans. Le premier de ces chiens l’a immédiatement rattrapé mais il fut si malmené qu’il boite à vie
et ne sert plus à rien. L’autre, du nom de Oscar, s’attaqua ensuite au cerf et malheur lui en coûta. Le cerf le laissa raide mort après la première encornade, l’une des pointes des cors lui ayant
traversé le cœur. On l’enterra sur place.
Le mois d’août suivant (1843), le même cerf fut couru mais les chiens ne réussirent pas à l’approcher suffisamment ; l’animal s’était frayé un chemin dans les hautes fougères et des escarpements
rocheux qu’il maîtrisait à merveille mais que les chiens ne pouvaient pas franchir. Dix jours plus tard, anxieux de venger la mort du pauvre Oscar, je suis parti à sa poursuite, muni d’un fusil.
Après l’avoir poursuivi toute une journée, j’ai pu l’approcher comme je voulais et je l’ai raté avec les deux canons ! Hélas, des obligations ont fait que j’ai dû quitter l’île le lendemain
matin.
Vous pouvez aisément croire que lorsque je l’ai revu le 13 août 1844, j’avais très envie de lui régler son compte. Nous avons divisé nos forces en deux. Archy McNeill avec Borb, deux jeunes
chiens et deux hommes grimpèrent vers le cerf tandis que le Lord Advocate et moi, avec le Vieux Busker (le propre frère du décédé Oscar) et deux jeunes chiens nous sommes postés en embuscade
entre le cerf et la rivière qui traverse la vallée profonde. Archy fit son approche avec beaucoup d’habileté et lâcha les deux chiens à environ deux cents mètres, mais dès qu’il les eut lâchés,
dix à douze cerfs se levèrent de sous un tas de hautes fougères au milieu desquelles ils se reposaient à l’abri des regards attirant l’attention des jeunes chiens. Le cerf se mit à grimper la
colline suivi seulement par Borb qui bientôt le rattrapa mais le cerf se secoua et le fit lâcher prise puis changea de direction et se mit à descendre la pente.
Cependant, même pendant la descente (et c’est là qu’un cerf est plus rapide) le chien le rattrapa. Le cerf s’arrêta et lui fit face mais le chien n’arrivait pas à passer sous ses bois pour le saisir à la gorge.
Cet état de choses se prolongea jusqu’à ce que M. A McNeill commençât à se rapprocher ; il était à une cinquantaine de mètres de la scène lorsque le cerf plongea dans un ravin profond suivi du
chien. À ce moment-là, le Lord Advocate et moi avons lâché nos chiens mais nous l’avions à peine fait que le cerf et le chien émergeaient du ravin où, sans doute aucun, ils avaient livré bataille
et ils revenaient droit sur nous.
Busker et un des jeunes chiens ont couru vers Borb mais pas l’autre jeune. Ils descendaient la pente de notre côté, le cerf talonné par Borb à sa gauche ; et à la gauche de Borb, pas loin
derrière, le jeune Garig courait sans savoir derrière quoi il courait ; cinquante mètres derrière, le Vieux Busker faisait de son mieux pour les rattraper mais il n’y arrivait pas, le temps et
une vie de dur labeur avaient sacrément diminué sa capacité à galoper. Ils sont passés entre l’Advocate et moi, si près que j’aurais pu briser les pattes avant du cerf avec la grosse canne que
j’avais dans la main.
Le cerf était un peu fatigué, les chiens frais, beaucoup plus rapides que le cerf, attendant la bonne opportunité pour se jeter sur lui.
Celle-ci se présenta juste au moment où le cerf sautait dans la rivière ; le chien, avançant à une vitesse prodigieuse le saisit par le jarret et les deux firent la culbute dans le ruisseau, le
cerf se recevant un peu plus bas. La lutte commença, le chien fut écarté d’un coup de pied, le cerf revint sur la terre ferme et se mit à descendre en courant la berge sur une longueur de trente
mètres lorsque le chien le percuta et tous les deux furent précipités dans la rivière à un endroit où l’eau trop profonde mettait le chien à mal, bien qu’il continuât de se battre avec courage. À
cet instant critique, le Vieux Busker arriva, se jeta sur le cerf et lui régla son compte.
En l’examinant, on trouva que l’une de mes balles lui avait transpercé l’oreille et que l’autre lui avait cassé trois côtes ; donc, je ne l’avais pas entièrement raté, après tout.
Après cette chasse qui nous avait été favorable, on se rendit compte qu’il nous manquait le jeune Torm, celui pour lequel le Lord Advocate avait refusé quatre-vingts guinées et nous nous mîmes à
sa recherche. On n’a pas mis beaucoup de temps à le trouver : il gisait, pas mal amoché sur la berge du torrent à côté d’un cerf mort. Il l’avait tué sans l’aide de quiconque, chien ou homme. Le
Lord Advocate, qui n’est pas connu pour tenir de longs discours hors du tribunal, me dit brièvement : « Si ce chien valait quatre-vingts guinées la semaine dernière, combien peut-il valoir
maintenant ? Ce fut la fin de notre première journée de sport car les chiens étaient fatigués ou blessés pour certains et il leur fallait du repos.
Nous quittâmes Jura le jeudi 15 août ; les McNeill sont allés voir leur père à Colonsay, moi je suis parti pour Castleton près de Lochgilp rendre visite à Sir John McNeill qui n’avait pas pu être
des nôtres et avons laissé M. Colquhoun profiter du bon air de Jura.
Sir John et moi avons passé quelques matinées tranquilles à chasser le tétras et (bien que je répugne à le dire), je trouve que j’arrive encore à tirer aussi bien que les autres.
Après nous être promenés dans l’Argyllshire et avoir passé trois jours sur l’île de Islay avec M. Malcolm McNeill (le frère du lord), nous nous sommes tous retrouvés à Jura, cette fois, Sir J.
McNeill était des nôtres.
Le mardi 27 août eut lieu notre deuxième chasse ; nous avons trouvé deux cerfs, les avons bien poursuivis et tous les deux furent tués. Les cerfs prirent des chemins différents. L’un d’eux fut
tué par le Jeune Busker et Bran mais je n’ai pas vu la course. J’ai suivi l’autre course au cours de laquelle Borb et Torm ont tué l'autre cerf.
12 octobre 1844. Je commence là où j'ai laissé hier. Le mercredi 28 août, un cerf qui jadis avait été apprivoisé mais qui était redevenu sauvage et polisson, s’en est pris à la femme du
garde-chasse et quelques heures après, au cornemuseur de la famille, un affront qu’on ne pouvait laisser passer. Il fut donc décidé d’attraper l’animal et de lui scier les bois. Le lendemain,
comme convenu, nous avons muselé quelques chiens et lui avons donné la chasse, sauf que les chiens, gênés par la muselière qui les empêchait de respirer librement ne purent le rattraper. On dut
se résoudre à l’abattre et j’ai demandé à être l’exécuteur.
Après l’avoir cherché pendant un certain temps, je l’ai vu arriver vers moi, prêt à se battre. Quand il fut à un peu moins de cent mètres, j’ai tiré en visant le milieu du cou. Il s’écroula sur
place, mort apparemment ; j’ai tendu ma carabine à l’homme qui avait suivi avec trois jeunes chiens et tournai les talons en direction de la maison.
L’homme s’approcha du cerf avec les chiens pour qu’ils s’habituent à le voir et les encouragea à mordre dans la chair de l’animal mort. Lorsque les chiens en ont eu assez, le cerf bêla deux ou
trois fois, se leva, envoya quelques coups de pied aux chiens, se jeta dans la mer et se mit à nager en direction de la côte d’en face distante de près de dix kilomètres.
Deux bateaux furent immédiatement lancés à sa poursuite, le rattrapèrent alors qu'on le voyait à peine à l’œil nu du rivage, lui entourèrent les bois avec des cordes et le hissèrent à bord.
Il n’était pas du tout fatigué et on aurait cru que personne ne lui avait tiré dessus. La pauvre bête me faisait de la peine mais il était si sauvage qu’il fallait absolument le détruire. La
balle qui avait été déformé, avait frappé l’os du cou du côté gauche, traversé la partie haute de l’os jusqu’au côté droit du cou et s’était fichée dans le corps à une vingtaine de centimètres
derrière l’épaule droite. Quelle drôle d’affaire !
Le vendredi 30 eut lieu notre troisième chasse. Il était tard, au moins six heures du soir avant qu’on voie quelque chose. Puis nous avons découvert un beau spécimen de cerf mais il se trouvait
si près de la cime de la colline que lorsque nous commençâmes la poursuite il gagna le sommet et se mit à la descendre vers la vallée d’en face avant qu’hommes ou chiens, à l’exception de Borb,
aient réussi à grimper sur la crête.
Nous n’avons pas suivi grand-chose de cette poursuite mais il semblerait, à partir des traces de sang et des empreintes de pieds, que Borb ait rattrapé sa proie dans le lit rocheux d’un torrent
de montagne où ils l’ont descendu en se battant sur une longueur de trois cents mètres à travers pierres glissantes, rochers, cascades, dans des conditions d’incroyables difficultés.
Deux jeunes chiens avaient vraisemblablement rejoint Borb et l'avaient aidé à venir à bout du cerf. Les chiens étaient pas mal abîmés et c’est ainsi que nous avons terminé la saison de
chasse.
Le lendemain nous sommes tous partis à Castleton où nous sommes restés jusqu’au dimanche puis, dès lundi, avons pris le vapeur pour retourner à Edimbourg.
La chasse à pied menée de cette façon, est, je pense, le meilleur sport que ce pays puisse offrir et le plus juste pour le gibier. Nous avons tué chaque cerf poursuivi en évitant les biches et
les faons, il est invraisemblable de jouir d’autant de chance à chaque fois.
Un cerf a une bonne chance de s’en tirer face à quatre chiens quand il n’y a pas de fusil. Il est bien pourvu en armes offensives et défensives et son poids est égal à celui de quatre
chiens.
Les cerfs de Jura sont plus gros que ceux d’Atholl mais pas aussi gros que certains spécimens du Ross-shire ; cependant leur poids est considérable : 140 kg sur pied. Borb et plusieurs autres
chiens pesaient dans les 33 kg chacun. Le plus gros de tous, Torm, pesait environ 37 kg de sorte que les quatre chiens les plus lourds pesaient environ 136 kg, c’est-à-dire près de 4 kg de moins
que le cerf et nous n’avons jamais été au-delà de ces poids.
Comparez ceci avec la différence qui existe entre le poids de deux grey hounds et un lièvre ou celle d’une meute de foxhounds et un renard.
CN