FEUILLETON DU MONITEUR DU SOIR, 20 juin 1851
LES CÉLÉBRITÉS DU VIEUX TEMPS
Ronsard était le noble et grand poète que vous savez ; Nisus, un superbe lévrier écossais, royal présent de sa majesté Charles IX.
Quand Ronsard travaillait durant de longues nuits glacées par la bise d'hiver, Nisus se couchait sur ses pieds et les réchauffait avec son épaisse et soyeuse fourrure ; lors que l'inspiration était lente à venir, la rime rebelle et rétive pour le poête, il jetait loin la plume et caressait l'inteiligent animal, qui attachait sur lui ses grands yeux vert de mer.
Une nuit, Ronsard s'était attardé dans un cabaret fameux, en compagnie d’un moine génovéfin qui buvait comme un lansquenet et l’avait contraint de sabler comme un Suisse; il logeait alors aux environs de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, et il suivait la berge pour regagner sa demeure, flageolant sur ses jambes et tremblant de froid, malgré le chaud vêtement liquide qu’il avait revêtu à l’intérieur; un mendiant lui demanda l’aumône, il lui jeta une pistole et continua sa marche, mais le mendiant était un voleur, il pensa qu’un homme qui donnait une pistole devait en posséder une foule d’autres; il le suivit donc à pas de loup, lui assena un coup de bâton sur la nuque et le renversa tout étourdi.
Heureusement Nisus était avec son maître, il étrangla le mendiant, et lorsque Ronsard revint à lui, il retrouva sa bourse intacte dans la poche de ses chausses, et le mendiant couché sur le dos et parfaitement trépassé.
A quelque temps de là, une barque montée par six personnes chavira à la hauteur du Chatelet, au moment où, par hasard, Ronsard passait sur un pont voisin avec Nisus. Sur un signe du poète, le chien sauta à l’eau et sauva successivement cinq des naufragés : mais, arrivé au sixième, l’intrépide animal se trouva au bout de ses forces et disparut entraîné par le courant.
Ronsard poussa un cri désespéré, se précipita tout vêtu dans la Seine, plongea et repêcha Nisus. Ainsi, l’homme et le chien se devaient mutuellement la vie; ils s'aimaient dune noble amitié, et le poète avait coutume de dire :
— Je suis l’Euryale de Nisus
Mais, hélas ! l’existence canine est soumise comme l’existence humaine à une foule de revers foudroyants; un événement imprévu sépara Nisus de Ronsard.
Nisus n’était point parfait, et pas plus qu’un chien vulgaire, il n’était exempt des passions qui affligent les races créées; il avait cinq ans, il était beau, il avait un cœur prêt à s’enflammer au contact de la moindre étincelle... l’amour devait obscurcir un coin du ciel bleu de sa vie.
Un soir, vers la brune, le poète et le chien s’en allaient par Ies rues de Paris, allègres et dispos tous deux, à la recherche d'un cabaret où le vin fût païen et le menu délicat. C‘était un soir de printemps, l’air était imprégné d’arômes, la brise chantait dans les grappes de lilas penchées sur le mur des jardins... C’était un de ces soirs, enfin, où les morts doivent se parler d’amour... Que dire des vivants !
Une belle épagneule blanche croisa Nisus en un carrefour; Nisus admira sa cheville bien détachée, les imperceptibles taches noires semées sur sa robe de neige comme des grains de beauté, ses grands yeux marrons fendus en amande.... Peut-être que son regard rencontra le sien, que du choc jaillit l'étincelle attendue par son cœur.... Bref, Nisus tourna le dos à son maître pour suivre l'épagneule et lui conter fleurette en vrai chien de poète et de courtisan qu’il était.
L'épagneule était coquette, Nisus flatteur et insinuant; en amoureux spirituel il ne se rebuta pas des premiers dédains que témoigne toujours une chienne de bonne compagnie à un amant trop effronté; il lui offrit même peut-être de la suivre au bout du monde.
L’épagneule accepta et le conduisit à Charenton, non point dans la maison des fous, s’il vous plaît, — elle n’existait point encore, — mais dans un grand parc attenant à un coquet castel.
Ce n'était point là le bout du monde, mais c’était assez loin de Paris pour que Nisus ne songeât pas à y retourner. D'ailleurs, Nisus était amoureux, ce qui rend ingrat, et il avait oublié son maître.
Son pauvre maître composait des vers tout en cheminant, alors que Nisus s’était enfui, et quand, revenu de sa méditation profonde, il le chercha des yeux, il ne l’aperçut plus.
Il retourna sur ses pas, appela, siffla, demanda aux passants. Point de Nisus!
Sous le règne de Charles IX, comme en l'an de grâce où nous vivons, il y avait dans la bonne ville de Paris d’honnêtes coquins qui faisaient métier de voler les chiens de prix ; et alors comme aujourd hui, la justice ou la prévôté ne s’en souciaient guère et vous riaient au nez quand vous portiez plainte. Mais Ronsard avait le bras long, il était l’ami du roi, et persuadé qu'on lui avait volé son chien, il rebroussa chemin, s'en alla droit au Chatelet, se présenta au grand-prévôt et lui dit :
— On m’a volé mon Chien Nisus.
— Que voulez-vous que j'y fasse? demanda le prévôt.
— Je veux que vous me le retrouviez.
— J’ai bien autre chose à faire, ma foi !
— C’est possible, mais je m’appelle Pierre de Ronsard, et mon chien est un cadeau du roi.
— Ceci est différent, répondit le prévôt; on vous le retrouvera !
Ronsard s'en retourna le cœur gros, mais plein d’espoir.
Ce jour-là, il oublia de dîner et ne songea point à mettre au net les vers qu’il avait composés naguères ; il ne dormit point la nuit suivante et déjeuna le lendemain à quatre heures de relevée. Or, tandis qu'il était à table et décharnait un morceau de venaison, il regarda machinalement autour de lui et chercha Nisus pour lui jeter un os : il se souvint que Nisus n’était plus là, et, repoussent la table avec colère, il sortit du cabaret.
Le jour suivant, il retourna au Chatelet. Le grand-prévôt, qui n’avait pas l’exact signalement de Nisus, avait fait saisir quarante ou cinquante chiens, mais Nisus n’était point parmi eux. Il promit de recommencer et recommença en effet dès le lendemain. En huit jours tous les chiens de Paris furent mis sous les yeux de Ronsard.... mais de Nisus, pas l’ombre.
De poète, c'est devenu un fantôme.
Il s'en alla au Louvre, conta sa peine au roi, et le roi, qui aimait Nisus peut-être autant que Ronsard lui-même, fit crier à son de tempe l’édit que voici, et que nous avons copié dans les archives du Grand Châtelet.
« Nous, Charles, neuvième du nom, etc.
Ordonnons que le noble, bourgeois ou vilain qui tient en ses mains, le chien de notre ami et féal Pierre de Ronsard, le remette incontinent en échange de 30 écus d’or qui lui seront remis par notre argentier et, si il ne le fait, qu'il soit pendu haut et court, s’il est bourgeois ou manant, et condamné à une amende 200 écus d’or s’il est gentilhomme."
L’édit royal demeura sans résultat : on ne revit point Nisus. Alors, Ronsard tomba en une prostration profonde, son front se plissa, ses jours se creusèrent, il ne se montra plus à la cour et jeta loin ses tablettes. On ne le vit plus au cabaret fameux alors de "La Corne d'abondance". Les moines génovéfins, ses convives, le croyant mort, lui firent un service funèbre dans leur église, et pour asperger le catafalque trempèrent le goupillon dans un excellent cru de Bourgogne béni en guise d'eau…
Charles IX, effrayé lui envoya son docteur Miron.
Miron revint en secouant la tête, et dit au roi que Ronsard était un homme perdu si on ne le distrayait pas sur-le-champ.
Le roi demanda sa litière et ses gardes, et se fit porter chez son poète favori, essaya de le consoler et le décida à l'accompagner à la promenade. Ronsard se laissa faire et pris place dans la litière royale.
Charles IX, eut fantaisie alors de remonter le cours de la Seine et de cheminer à pied, et à distance de son escorte, au milieu des prés, fleuris et des haies d’aubépines et de chèvrefeuille qui bordent les rives du fleuve ; il prit le bras de Ronsard et s’aventura avec lui à travers champs.
Charles IX, qui s'ennuyait la moitié de sa vie et s’entourait d'ordinaire de gens qui pussent l’amuser, avait, ce jour, là, changé de rôle, et s’acquittait à merveille de l'office de bouffon ; il confia à Ronsard, les amours secrets de sa sœur Margot, et sema son récit de tant d'esprit et d'entrain que l'inconsolable Roussard riait à chaudes larmes.
Tout en devisant, ils arrivèrent à la lisière d'un beau parc de châtaigniers et d’ormeaux, dont les rameaux verts dissimulaient mal les tourelles hardies, les flèches nerveuses et la façade coquette d'un petit manoir dont la construction, remontait à peine au règne de François Ier.
Le parc était ombreux, le roi avait chaud.
– Entrons là, dit-il à Ronsard.
Et comme deux écoliers en maraude, il se glissèrent l'un et l'autre par une trouée de la clôture buissonneuse, accrochant par-ci par-là leurs pourpoints et continuant à rire, comme des fous.
Puis ils enfilèrent une allée tortueuse et reprirent leur conversation.
L’allée qu’ils suivaient conduisait à un berceau ; de ce berceau, s’échappait une voix fraîche et veloutée chantant un refrain du temps. Le roi et le poète l'entendirent, se turent et s'avancèrent sur la pointe du pied jusqu'au berceau pour écouter. Mais, tandis que le roi collait son oreille au mur de verdure, le poète glissait par un trou imperceptible un regard curieux dans l'intérieur du berceau, palissait, et jetait un cri.
À ce cri, la voix se taisait et, aux yeux de Charles IX, étonné, une jeune fille, sortait, effarée du berceau, et reculait à la vue des deux étrangers.
Mais le roi s’inclina profondément devant elle, puis cherchait de l'œil Ronsard, Ronsard n'était plus là, il s'était précipité dans le pavillon de verdure, dont la porte était restée ouverte, et ils en ressortit peu après, tenant dans ses bras… son chien Nisus !
À côté du poète, qui pleurait et chantait à la fois, sautillait la belle épagneule pour laquelle l’ingrat lévrier avait abandonné son maître.
Alors l'étonnement du roi redoubla et la jeune fille oublia sa terreur première; une explication devint nécessaire, Ronsard apprit que Nisus était arrivé à la suite de la belle épagneule qui appartenait à la jeune fille.
– Mademoiselle, dit le roi, veuillez me dire votre nom ?
– Marie de Maurevel, fille de feu, le capitaine des gardes de sa majesté.
– Mademoiselle, continua Charles IX, le roi a rendu dernièrement un édit qui condamne à une amende de cent écus d'or, celui ou celle qui retenait le chien de son ami, messire Pierre de Ronsard, que voilà. Ce chien était en votre possession, naguère encore…
– Messire, répondit la jeune fille, toute confuse, croyez que j'ignorais l’édit.
– Cela est possible, mais vous êtes néanmoins passible de l'amende.
– Mais, dit la jeune fille ou prendrais-je cent écus d’or ; ma mère ne les a pas sans doute, car mon père était sans fortune, et le roi a oublié sa veuve.
– Aussi dit le roi il y a un moyen de tout concilier ; regarder Monsieur de Ronsard, il est encore assez beau, le roi l’aime, épousez- le.
La jeune fille rougit.
– Quand vous serez sa femme, continua Charles IX, il obtiendra (illisible).
Mademoiselle de Maurevel avait seize ans, mais elle était beaucoup moins timide qu’on aurait pu le croire.
– Messire, dit-elle, ma mère a engagé sa parole à Monsieur Hector de Balzac, qui guerroie à cette heure en Dauphiné, et me doit épouser à son retour.
Cette réponse imprévue dérouta le roi, lequel avait arrangé dans sa tête un petit dénouement tout paternel qui lui permettait de réparer son oubli à l'endroit de la veuve de son capitaine de garde, en dotant sa fille. Aussi demeura-t-il fort embarrassé.
Mais Ronsard qui avait retrouvé du même coup son chien et son esprit s'écria :
– Parbleu ! Tout peut s'arranger, j'épouserai mademoiselle pour le compte de messire Hector de Balzac, ni plus ni moins que s'il était roi, et Mademoiselle princesse. Votre majesté dotera la mariée et ne retirera la remise de l'amende à son mari ... par procuration.
A ces mots, le roi sourit, la jeune fille, le reconnaissant, s’inclina et lui baisa la main ; le mariage se fit peu de jours après.
Et Ronsard Nisus, qui, depuis, ne mentit plus à son nom et sacrifia l’amour à l'amitié.
Ponson du Terrail
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